Les sennes à thon et sardine : innovation et durabilité dans la pêche moderne

La pêche aux grands pélagiques, notamment le thon et la sardine, occupe une place stratégique dans l'économie maritime mondiale. Face aux défis environnementaux et aux exigences croissantes des consommateurs, le secteur se transforme en profondeur, intégrant des innovations techniques et des pratiques durables. Ces évolutions visent à concilier rendement économique et préservation des ressources marines pour les générations futures.

Les innovations techniques des sennes tournantes pour une pêche plus responsable

Les sennes tournantes représentent aujourd'hui l'une des méthodes les plus performantes pour capturer les poissons pélagiques qui évoluent en bancs. Ces filets rectangulaires impressionnants peuvent atteindre jusqu'à un kilomètre de longueur et entre cent et deux cents mètres de hauteur. Leur principe repose sur l'encerclement du banc de poissons détecté au sonar, avant de fermer le filet par le bas grâce à un système de coulisse qui emprisonne les prises. Cette technique cible principalement des espèces comme le thon, le maquereau, l'anchois et la sardine dans des zones aussi diverses que la mer du Nord, le golfe de Gascogne ou encore la Méditerranée.

L'évolution technologique des filets et des équipements embarqués

Les fabricants spécialisés comme Le Drezen, basé au Guilvinec-Treffiagat en France, ont considérablement amélioré la conception des sennes à thon et sardine. Les sennes à thons utilisent désormais des mailles de vingt-cinq à quarante-cinq millimètres et mesurent entre mille deux cents et deux mille mètres de longueur pour une hauteur allant de cent cinquante à deux cent cinquante mètres. Pour la sardine, les filets présentent des mailles plus fines, de dix à vingt millimètres, avec une hauteur de quarante à quatre-vingts mètres et une longueur de deux cents à cinq cents mètres. L'innovation textile joue un rôle central dans cette évolution, notamment avec l'utilisation de matériaux modernes comme le Dyneema et le polyester qui offrent une résistance accrue tout en réduisant le poids des équipements. Ces avancées permettent d'obtenir une durée d'utilisation supérieure de trente pour cent aux standards du marché, réduisant ainsi la fréquence de remplacement et l'empreinte environnementale associée à la production de nouveaux filets.

Les bureaux d'étude internes développent également des grééments complets adaptés aux conditions spécifiques de chaque zone de pêche. Les systèmes embarqués, notamment les sonars de détection et les équipements de positionnement GPS, permettent aux pêcheurs de localiser les bancs avec précision, optimisant ainsi les opérations et réduisant le temps passé en mer. Cette efficacité accrue contribue à diminuer la consommation de carburant et, par conséquent, l'empreinte carbone globale de l'activité. De plus, les services après-vente proposent désormais des solutions de réparation et de maintenance qui prolongent la vie des équipements, inscrivant la démarche dans une logique d'économie circulaire.

Les dispositifs de concentration de poissons écologiques et sélectifs

Dans les pêcheries de thon tropical, les Dispositifs de Concentration de Poissons, communément appelés DCP, jouent un rôle prépondérant. Environ quatre-vingt-dix pour cent des captures sont réalisées à l'aide de ces structures flottantes qui attirent naturellement les bancs de thons. Toutefois, leur impact environnemental fait l'objet de débats. Selon les travaux de Sandra Ougier, ancienne doctorante de l'Institut Agro, les DCP représentent un piège économique pour les pêcheurs. Si ces dispositifs garantissent des captures stables et prévisibles, ils alourdissent considérablement le bilan carbone en raison des matériaux employés pour leur fabrication, notamment le plastique et les métaux. L'Analyse du Cycle de Vie menée dans le cadre de sa recherche, publiée en octobre deux mille vingt-cinq dans le magazine Produits de la Mer, souligne cette contradiction entre efficacité opérationnelle et durabilité environnementale.

Face à ce constat, l'industrie travaille à développer des DCP écologiques fabriqués à partir de matériaux biodégradables ou recyclables. Ces nouvelles générations de dispositifs visent à réduire l'empreinte carbone tout en maintenant l'attractivité pour les poissons. Parallèlement, des efforts sont déployés pour améliorer la sélectivité des sennes tournantes afin de minimiser les captures accidentelles. Le comportement grégaire des espèces pélagiques facilite cette sélectivité naturelle, mais des ajustements techniques, comme l'optimisation de la taille des mailles et l'adoption de protocoles de libération rapide des prises non désirées, renforcent encore cette capacité. La qualité du poisson ramené à bord reste excellente grâce à la rapidité de la capture, un avantage notable par rapport à d'autres techniques comme la palangre, qui peut entraîner davantage de captures accidentelles et dépend d'appâts vivants.

La durabilité environnementale et économique de la pêche à la senne

La question de la durabilité des pêcheries dépasse le simple cadre environnemental pour englober également des dimensions économiques et sociales. Les sennes tournantes, lorsqu'elles sont utilisées de manière responsable, présentent plusieurs atouts majeurs. Contrairement à certaines méthodes de fond, elles n'impactent pas les habitats marins puisqu'elles opèrent en surface et ne touchent pas les fonds océaniques. Toutefois, des défis subsistent, notamment en matière de gestion des rejets et de maîtrise des opérations par conditions météorologiques défavorables, qui peuvent rendre la technique inutilisable.

La réduction des captures accidentelles et la préservation des écosystèmes marins

La réduction des captures accidentelles constitue un enjeu central pour la pêche moderne. Les sennes tournantes, de par leur conception, ciblent essentiellement les espèces pélagiques évoluant en bancs, limitant ainsi le risque de capturer des espèces non désirées. Cette sélectivité intrinsèque représente un avantage considérable, mais elle doit être accompagnée de bonnes pratiques pour éviter le phénomène de slipping, c'est-à-dire l'abandon d'une prise avant sa remontée complète, qui peut entraîner une mortalité élevée des poissons relâchés. Les protocoles de pêche responsable imposent désormais des critères stricts sur les conditions dans lesquelles le slipping peut être pratiqué, afin de préserver au maximum la survie des individus libérés.

En comparaison, la senne démersale, utilisée principalement par certains industriels néerlandais, illustre les dérives possibles d'une technique mal encadrée. Cette méthode consiste à déployer un câble formant un polygone de trois kilomètres carrés sur les fonds marins pour capturer les poissons en créant un mur de sédiments. Non sélective, elle capture une grande quantité de poissons juvéniles, avec des taux de rejet particulièrement élevés, atteignant trente-neuf pour cent en deux mille treize et soixante-dix-neuf pour cent en deux mille quatorze pour le merlan. Cette technique cible des espèces non soumises à quota comme l'encornet, la seiche, le rouget-barbet et le grondin, épuisant les populations et menaçant l'équilibre des écosystèmes. Les pêcheurs côtiers dénoncent depuis longtemps ces impacts destructeurs, certains ayant même dû se convertir à cette pratique pour rester compétitifs malgré des investissements importants. Plusieurs régions de France, dont l'Aquitaine, la Bretagne et une partie de la Normandie, ont interdit son utilisation dans leurs eaux territoriales, et un amendement est en discussion au Parlement européen pour étendre cette interdiction dans les eaux de la Manche.

La préservation des écosystèmes marins passe également par une gestion rigoureuse des quotas de pêche et des moratoires lorsque les populations sont menacées. Les données scientifiques permettent aujourd'hui de suivre l'état des stocks avec une précision accrue, facilitant la prise de décisions éclairées. En Polynésie, par exemple, le thon germon domine la pêche en deux mille vingt-quatre, témoignant de l'importance d'adapter les stratégies de capture aux réalités locales et aux dynamiques des populations de poissons.

La certification et la traçabilité pour une filière thonière et sardinière responsable

La certification joue un rôle déterminant dans l'amélioration des pratiques de pêche. Le label MSC, Marine Stewardship Council, représente l'un des référentiels les plus reconnus mondialement. Selon Sandra Ougier, cette certification peut contribuer à améliorer les pratiques de pêche en imposant des critères stricts sur la gestion des stocks, la réduction des captures accidentelles et la traçabilité des produits. L'obtention de cette certification nécessite un audit complet des opérations de pêche et un suivi régulier, incitant les armateurs à adopter des pratiques durables sur le long terme.

La traçabilité constitue également un pilier essentiel de la filière responsable. Les consommateurs exigent de plus en plus de connaître l'origine de leurs produits et les conditions dans lesquelles ils ont été capturés. Les technologies numériques, comme la blockchain, permettent désormais de suivre chaque étape du parcours du poisson, depuis la capture jusqu'à l'assiette, garantissant transparence et confiance. Cette traçabilité renforce également la lutte contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, qui représente un fléau majeur pour la durabilité des océans.

D'un point de vue économique, les pêcheries certifiées bénéficient souvent d'un accès privilégié à des marchés premium, où les consommateurs sont prêts à payer un prix plus élevé pour des produits garantis durables. Cette dynamique crée un cercle vertueux où l'investissement dans des pratiques responsables se traduit par une rentabilité accrue et une meilleure réputation des acteurs de la filière. La thèse de Sandra Ougier, soutenue financièrement par France Filière Pêche et Orthongel, illustre l'engagement collectif des professionnels pour une pêche durable et compétitive.

Enfin, la durabilité socio-économique des pêcheries repose sur l'équilibre entre les intérêts des différents acteurs, des grands navires industriels aux pêcheurs côtiers artisanaux. Les politiques publiques doivent veiller à ce que les innovations bénéficient à l'ensemble de la profession, en soutenant la formation, l'accès aux nouvelles technologies et la diversification des activités. L'avenir de la pêche à la senne, qu'il s'agisse de thon ou de sardine, dépendra de la capacité collective à conjuguer innovation technique, responsabilité environnementale et justice sociale pour préserver les ressources océaniques et garantir la pérennité d'une activité millénaire.

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